Idées incorrectes sur les doctrines des Théosophes - La Revue Spirite - Janvier 1879

De Wiki Theosophie
Aller à la navigation Aller à la recherche

La Revue Spirite, Paris, Janvier 1879

Nous insérons cette réponse à M. Rossi de Justiniani, mais en nous réservant quant à la doctrine qui y est émise; notre frère de Smyrne pourra répondre à Mme. H. P. Blavatsky. [Editeur.]

“La critique est aisée, et l’art est difficile! . . .” Destouches, Philinte, I D, Acte II, sc. 5.

La Société Théosophique de New York, fondée en 1875, et depuis, d’après les ordres de ses chefs aux Indes, entièrement reconstruite, est établie sur la base de toute société. Il est donc évident que ses doctrines ne peuvent courir les rues. Malgré cela, la presse américaine—les journaux spiritualistes surtout—les ont sans relâche, disséquées, critiquées et tournées en ridicule, érigeant invariablement ce qui n’était que conjecture de leur part, en dogmes des Théosophes. Le peu, cependant, qu’il leur fut accordé de révéler, ils le firent aussi clairement que leur permit la langue anglaise d’ailleurs peu adaptée à l’expression des idées métaphysiques.

Mirabile dictu! Non seulement fit-on la sourde oreille à nos explications, mais sitôt que les critiques de nos adversaires commencèrent à avoir le dessous, on nous ferma poliment au nex la porte des journaux!

Il est bien temps, dans cette polémique de cache-cache, de jeter un peu de jour sur ces ténèbres cimmériennes où la lumière se trouve souvent éteinte — on dirait presque à dessein. Une critique, sur «les Élémentaires et les Élémentaux», publiée dans le No. d’août de la Revue Spirite, nous en fournit l’occasion.

Oui, «pour les Théosophes de New York, l’homme est une trinité et non une dualité». Il est plus que cela cependant: en y ajoutant le corps physique, l’homme est une Tetraktys, ou maternité (quaternité?). Mais, aussi soutenus que nous fussions dans cette doctrine particulière par les plus grands philosophes de la Grèce antique—comme le remarque l’auteur de l’article—ce n’est ni à Pythagore, ni à Platon, ni encore aux célèbres Theodidaktoi de l’école d’Alexandrie, dont nous la tenons. Nous parlerons de nos maîtres plus loin. Prouvons d’abord que le critique de la Revue Spirite fait fausse route dans son article, sous tous les rapports quant aux doctrines historiques de l’antiquité, et que—fort innocemment sans doute, et n’en jugeant que d’après les traductions abrégées—il défigure les nôtres.

Il se trompe, d’abord—selon nous—lorsque, croyant corriger nos idées, et ayant, un moment avant, traité sur les «âmes incarnées» (p. 291), il parle (p. 292) d’un «médiateur plastique et inconscient, ou le fluide périsprital qui sert d’enveloppe à l’esprit». Il pense donc que l’esprit et l’âme sont identiques, ou que le premier puisse être incarné ainsi que l’âme? Étrange erreur à nos yeux! Et si ce médiateur plastique est «inconscient» selon l’auteur, dans ce cas, l’âme aussi, qu’il croit immortelle, et même l’esprit doivent l’être, car, plus loin, nous le trouvons, établissant la même identité entre l’esprit et l’âme. «L’âme isolée est pour nous le périsprit», dit-il. Nous demanderions, d’abord, comment il se peut que quelque chose «d’inconscient»—donc, d’irresponsable—puisse, dans la vie future, être, soit récompensé, soit puni, pour des actes commis durant un état d’inconscience? Ensuite, vers la fin de l’article, l’auteur nous apprend que chez l’être imparfait, le troisième élément ou l’Esprit, peut non s’annihiler, mais perdre pour un temps indéfini la conscience de sa grandeur et s’abaisser au niveau de la brute! Ici—nous ne comprenons plus du tout! Nous ne savons si ces idées sont personnelles à l’auteur ou bien l’expression de la doctrine des spirites orthodoxes en général. N’importe, pour nous, elles sont monstrueuses et incompréhensibles. Comment l’esprit, la suprême essence primordiale, la monade incréée et éternelle, l’étincelle directe du «Soleil central» des kabalistes, n’est plus qu’un troisième élément, aussi faillible que le périsprit? Il peut, ainsi que l’âme vitale—affligée, elle, d’une inconscience chronique, à ce qu’il paraît—devenir inconscient aussi, ne fût-ce que temporairement? L’Esprit immortel «s’abaisser au niveau d’une brute»? Allons donc! L’auteur ne peut avoir eu la moindre idée sur nos doctrines; ou il ignore ce que nous appelons «Esprit», car pour lui, l’Esprit et l’âme sont synonymes—ou bien, il est encore plus iconoclaste que nous. Nous nous empressons de répudier ces idées. Jamais nous n’avons professé rien de semblable.

On nous cite Platon, et on oublie en même temps ce que Platon enseignait. Selon le «divin» philosophe l’âme est binaire; elle est composée de deux parties constituantes primitives, l’une—mortelle, et l’autre éternelle; la première, façonnée par les dieux créés (les forces créatrices et intelligentes de la nature), l’autre—une émanation de l’Esprit suprême. Il nous dit que l’âme mortelle en prenant possession de son corps devient «irrationnelle»; mais entre la déraison et l’inconscience il y a une différence profonde. Platon, enfin, n’a jamais confondu le périsprit, avec l’âme ni l’esprit. En commun, avec tous les autres philosophes, il ne l’appelait ni le nous ni , mais lui donnait le nom d’ , quelque fois celui d’imago ou de simulacrum.

Essayons cependant, de rétablir un peu d’ordre dans ce désordre. Donnons à toute chose son vrai non, et établissons exactement la différence entre les opinions de notre érudit critique et les nôtres. Pour tous ceux qui ont étudié les philosophes grecs, il est évident que l'auteur confond les termes. Sa question (p. 292) «la séparation de l'esprit, , avec l'âme, nous ou périsprit . . . peut-elle être jamais cause d'une complète destruction . . . » nous fournit la clef du mésentendu. Il traduit les mots «esprit» et «âme» simplement vice versa.

Nous ne savons si les Grecs modernes traduisent ces deux substantifs ainsi, mais nous sommes à même de prouver qu'aucun des anciens philosophes, ne les ont jamais définis de cette manière. Nous nous permettons de ne citer que deux noms, mais ceux-si suffiront. Notre autorité païenne est ––Plutarque; notre autorité chrétienne,––ni plus, ni moins que saint Jacques, «le frère du Seigneur». Plutarque traitant sur l'âme nous dit que, tandis, que est emprisonnée dans le corps, le nous ou l'intelligence divine plane au-dessus des mortels, en versant sur sa tête un rayon qui s'illumine plus ou moins, selon le mérite personnel de l'homme; il ajoute que le nous ne descend jamais, mais reste stationnaire. Saint Jacques est plus explicite encore. Parlant de la sagesse d'ici-bas (vide texte grec, Épître générale, ch. iii, 15), il la traite de «terrestre, sensuelle, psychique . .», ce dernier adjectif étant traduit dans les textes anglais par le mot «diabolique». Et il ajoute (iii, 17), que ce n'est que la sagesse d'en haut qui soit divine et «noétique» (adj. Du sub.nous). Donc l élément psychique ne semble jamais avoir été en odeur de sainteté, ni avec les saints du christianisme, ni avec les philosophes du paganisme. Puisque saint Jacques traite de diabolique, et Platon en fait quelque chose d'irrationnel, peut-elle être immortelle per se?

Qu'on nous permette une comparaison, la meilleure que nous puissions trouver entre le concret et l'abstrait; entre ce que notre critique appelle «la triple hypostase», et nous «la tetraktys». Nous comparerions donc ce quaternaire philosophique, composé du corps, du périsprit, de l'âme et de l'esprit––à l'éther––si bien pressenti par la science, jamais défini––et, ses corrélations subséquentes, L'éther nous représentera l'esprit; la vapeur morte qui s'y formera––l'âme; l'eau––le périsprit; la glace––le corps. La glace dégèle et perd pour toujours sa forme; l'eau s'évapore et se disperse dans l'espace; la vapeur, se débarrassant de ses particules grossières, atteint enfin cet état où la science ne peut plus la suivre. Purifiée de ses dernières souillures, elle s’absorbe tout entière dans sa cause première, et devient cause à son tour. Excepté le nous immortel––l’âme, le périsprit et le corps, ayant été tous créés, et eu un commencement, ils doivent avoir tous une fin.

Est-ce à dire, que l’individualité est perdue dans cette absorption? Du tout. Mais entre l’Ego humain, et l’Ego tout divin, il y a un abîme que nos critiques comblent sans le savoir. Quant au périsprit, il n’est pas plus l’âme, que la peau délicate, qui enveloppe le fruit de l’amande, n’est le noyau, ou encore son écorce provisoire. Le périsprit n’est que le simulacre de l’homme.

Il s’ensuit, que les Théosophes comprennent l’hypostase, selon les vieilles philosophies, et d’une manière toute différente de Spirites. Pour nous, l’Esprit est le dieu personnel de chaque mortel, et son seul élément divin. L’âme, binaire, par contre, n’est que semi-divine. Émanation directe du nous, tout ce qu’elle a d’essence immortelle, son cycle sur terre une fois achevé, doit nécessairement retourner à sa source-mère et––aussi pure qu’elle s’en est détachée––c’est dans cette essence toute spirituelle, que l’Église primitive, aussi fidèle que rebelle aux traditions néo-platoniciennes, crut reconnaître le bon daïmon et en fit un ange gardien; en même temps, flétrissant justement l’âme «irrationnelle» et faillible, le vrai Ego humain (d’où le mot Ego-isme), elle l’appela l’ange de ténèbres, et en fit plus tard un diable personnel. Son seul tort fut de l’anthropomorphiser, et d’en faire un monstre à queue et à cornes. Autrement, toute abstraction qu’il soit, ce diable est personnel, en effet, puisqu’il est identique avec notre Ego. C’est lui, cette personnalité insaisissable et inaccessible, que les ascètes de tous les pays croient punir en mortifiant leur chair. L’Ego donc, à qui nous ne concédons qu’une immortalité conditionnelle, est l’individualité purement humaine. Moitié force vitale, moitié agrégation de qualités et d’attributs personnels, nécessaires à la formation de tout être humain, distinct de son prochain, l’Ego n’est que le «souffle de la vie», que Jehovah, un des Elohim, ou dieux créateurs, souffle dans les narines d’Adam; et comme tel, et à part son intelligence supérieure, il n’est que l’élément d’individualité possédé par l’homme, en commun avec toute créature; depuis le moucheron qui se joue dans un rayon de soleil, jusqu’à l’éléphant, roi de forêts. Ce n’est qu’en s’identifiant avec cette intelligence divine, que l’Ego tout souillé d’impuretés terrestres peut gagner son immortalité.

Afin de rendre notre pensée plus clairement, nous procéderons par une question. La matière tout indestructible qu’elle soit dans ses atomes primitifs––indestructible, car, selon nous, elle est l’ombre éternelle de la Lumière éternelle, et coexiste avec [elle]––cette matière, peut-elle rester immuable dans une seule de ses formes ou corrélations temporaires? Ne la voyons-nous pas, dans ses modifications incessantes, détruire aujourd’hui ce qu’elle a créé hier? Toute forme, qu’elle appartienne au monde objectif, ou à celui que notre intelligence peut seule percevoir, ayant eu un commencement, doit avoir une fin. Il fut un temps où elle n’existait pas; il arrivera un jour ou elle aura cessé d’être. Or, la science moderne nous déclare que, même, notre pensée est matérielle. Que toute fugitive que soit une idée, sa conception et ses évolutions subséquentes, nécessitent une certaine consommation d’énergie; que le moindre mouvement cérébral réverbère dans l’éther de l’espace et y produit une perturbation à l’infini. Donc, c’est une force matérielle, quoi qu’invisible.

Et, s’il en est ainsi, qui oserait affirmer que l’homme, dont l’individualité est toute composée de pensées, de désirs et de passions égoïstes, qui ne sont particulières, qu’à lui, et en font un individu sui generis, puisse vivre dans l’éternité avec tous ses traits distinctifs, sans changer?

Et s’il change durant des cycles infinis, qu’en reste-t-il? Que devient cette individualité distinctive si prisée? Il n’est que logique de croire qu’une personne qui, déjà sur terre, oubliant son moi précieux, fut toujours prête à se sacrifier pour le bien d’autrui; qui, dans son amour pour l’humanité, s’est rendu utile dans le présent, nécessaire dans la vie future, au grand œuvre incessant de la Création, de la Préservation et de la Régénération; et qui, enfin, aspirant à l’infini, et tâchant de progresser moralement, s’est individualisée avec l’essence de son Intelligence divine, et s’est, ainsi, forcée sur le courant de l’immortalité––il n’est que logique, disons-nous, de croire qu’elle vivra en esprit éternellement. Mais qu’une autre personne qui, durant son exil de probation sur la terre, n’a envisagé la vie que comme une longue série d’actes égoïstes; qui fut inutile à elle-même comme aux autres et pernicieuse comme exemple––soit immortelle ainsi que la première––nous nous refusons de le croire! Rien n’est stationnaire dans la nature; tout doit ou avancer ou reculer, et un ivrogne incurable, un débauché tout alourdi de matérialité, n’ayant jamais fait le moindre effort vers le bien, mort ou vivant, ne progressera jamais! Il aura à subir son sort, sans que son âme divine, elle-même, puisse le sauver. L’Ego, ou psyché terrestre, a le libre arbitre; en plus, les mystérieux avis de sa gardienne ici-bas, qui lui parle par la voie de sa conscience. Ne pouvant suivre l’homme abruti, dans sa descente rapide vers l’abîme de la matérialité, et l’homme devenu sourd à sa conscience, aveuglé à la lumière, et ayant perdu le pouvoir de s’élever vers elle, l’Essence divine, comme l’ange gardien dans les vignettes naïves de notre enfance, déploie ses blanches ailes et, laissant le dernier lien se briser entre eux, remonte vers sa patrie. L’individualité purement matérielle, peut-elle vivre dans le monde des esprits, abandonnée aux lois de la matière seulement? Nous disons non; pas plus que le poisson ne peut vivre hors de son élément naturel. Les lois sont universelles et immuables.

«Ce qui est au-dessus, est comme ce qui est au-dessous», dit le grand Hermès. L’enfant à naître, ne peut vivre s’il manque de forces vitales, et meurt, avant de voir le jour; l’ego, entièrement destitué de forces spirituelles, n’aura pas, non plus, la force soit de naître ou d’exister dans les régions des esprits. S’il n’est que faible et étiolé—il pourra survivre, «ainsi que cela a lieu, soit sur la terre, soit au ciel.»

Mais, nous dira-t-on, les âmes méchantes ne restent pas impunies. Des siècles, des milliers de siècles, peut-être, de souffrances, sont certes une punition suffisante. Nous disons, nous, qu’une telle punition serait à la fois quelque chose de trop, et de trop peu. Elle est disproportionnée aux plus grands crimes, commis durant toute une longue vie humaine; elle serait diabolique et injuste. D’un autre côté, avec l’éternité devant l’âme souffrante, et une éternité certaine, une punition semblable serait une mauvaise plaisanterie. Que sont des milliers de siècles dans l’infini! Moins qu’un clin d’œil.

Il se peut que cette doctrine—comme toute autre dure vérité—semble répulsive à beaucoup de monde. Quant à nous, nous y croyons. Le sentimentalisme n’a rien à faire dans nos rangs; celui qui ne se sent pas prêt à sacrifier ses plus chères espérances personnelles à la vérité éternelle, peut devenir membre de la Société Théosophique, mais n’appartiendra jamais à notre cercle ésotérique. N’imposant à personne nos opinions, nous respectons celles des autres sans les partager. Et cependant notre Société compte des milliers d’Européens et d’Américains dans ses rangs.

On assure que cette doctrine d’immortalité conditionnelle n’a été répandue parmi les masses que «pour effrayer les âmes basses et viles». Encore une erreur. Elle n’a jamais été un dogme populaire: ni aux Indes, ni en Grèce, ni en Égypte. On n’en offrait les preuves au novice, que durant les grands mystères, lorsqu’une boisson sacrée le mettait en état de quitter son corps et, planant dans l’infinité des mondes, lui permettait d’observer et de juger par lui-même. Divulguer ce qu’il avait vu était une mort certaine, et les serments qu’on exigeait de lui, à l’Epopteïa suprême, lorsque le grand Hiérophante lui présentait le Pétroma, ou tablettes de pierres où étaient gravés les secrets de l’initiation, étaient terribles. Seul Platon en parle en termes couverts, mais toujours il en parle. Si dans un sens il dit que l’âme est immortelle, dans un autre il nie positivement que chaque âme individuelle soit pré-existée, ou qu’elle existera par la suite et pour l’éternité. La même chose a été enseignée dans tous les sanctuaires. Les égyptologues modernes en ont toutes les preuves. Mariette-Bey traduit plusieurs passages du Livre des Morts, et des inscriptions sur les sarcophages, où l’immortalité conditionnelle, et une annihilation complète sont en réserve pour les méchants. Une hymne à Osiris dit du mort: «Il voit par toi, vit en toi, et ce n’est que par toi qu’il peut échapper à l’annihilation». Les Égyptiens enseignaient aux multitudes que l’âme animale, appartenant au corps et étant indépendante de l’âme immortelle, ne les rejoignait qu’après un certain laps de temps passé dans la momie. Mais aux initiés, ils disaient qu’une annihilation complète attendait l’âme dépravée qui n’avait su devenir osirienne, ou divine. M. F. Lenormant l’affirme, ainsi que Mariette-Bey. Gotama, le philosophe hindou, dit dans sa Nyâya-Sûtra (Tarkalamkara): «Le siège de la connaissance du soi (ou individualité) est dans l’âme humaine (jîvâtman), qui est binaire, mais l’âme suprême (paramâtman) est la seule qui soit omnisciente, infinie et éternelle».

Pour en finir, on nous objecte, que ceux qui ont foi dans l’immortalité, comme loi générale, regardent nos opinions comme «contraires sous tous les rapports à la justice divine». Nous répondons: Qu’en savez-vous de cette justice? Sur quoi basez-vous vos idées en supposant que les lois du monde invisible soient tout autres que celles d’ici-bas, tout en laissant de coté la loi, bien constatée par la science, de la survivance du plus apte, loi, qui certes ne serait pas de mince valeur dans notre argument? Nous ne demandons que des preuves valables à l’appui du contraire. On peut nous faire remarquer, qu’il nous serait peut-être aussi difficile qu’à nos critiques de prouver la vérité sur nos doctrines, à nous? D’accord, nous confessons de suite que, tout en y croyant, nous n’en savons que ce qui nous en a été enseigné. Mais notre doctrine à nous est appuyée du moins sur la philosophie et sur la psychologie expérimentale (comme celle du système des Yoga hindous), fruits des recherches de long siècles. Nos maîtres sont Patañjali, Kapila, Kanada, tous ces systèmes et écoles de l’Aryâvarta (l’Inde antique) qui servirent de mines inépuisables pour les philosophes grecs, depuis Pythagore jusqu’à Proclus. Elle est basée sur la sagesse ésotérique de la vieille Égypte, où Moïse comme Platon sont allés se faire instruire par ses hiérophantes et adeptes; elle s’est développée enfin, sur la méthode si sûre qui ne procède qu’inférentiellement, ne juge que par la stricte analogie et qui, se basant sur l’immuabilité des lois universelles, ne déduit que par induction. Nous sera-t-il permis de demander à nos adversaires, de nous montrer quelles sont leurs autorités à eux? Est-ce la science moderne? Mais la science docte se moque de vous comme de nous. Est-ce la Bible mosaïque? Nous en doutons, car elle n’en souffle pas un mot, et toutes les tortures appliquées à son texte pendant de longs siècles de recherche, et malgré toutes ses éditions revues et corrigées, elle reste muette à ce sujet. Mais dans plusieurs endroits touchant la survivance de l’âme, elle nous coupe l’herbe sous les pieds. Dans les Ecclésiastes (chap. iii, 19) la Bible n’accorde à l’homme aucune prééminence sur la brute; comme l’une meurt, dit-elle, ainsi meurt l’autre, car le souffle qui les anime tous deux est le même. Quant à Job, cet illustre affligé nous affirme que l’homme, une fois mort, «s’enfuit comme une ombre, et — ne continue pas» (Job, xiv, 2). Est-ce le Nouveau Testament? Ce livre nous offre le choix, entre un paradis philharmonique, et un enfer — qui est loin de l’être. Il ne nous donne aucune preuve irrécusable, nous défend de raisonner, et nous enjoint une foi aveugle. Est-ce les phénomènes du spiritisme? Nous y voici. Ici nous sommes sur un terrain solide, car les preuves sont palpables, et ce sont les «esprits» qui sont nos maîtres. Les Théosophes croient aux manifestations et aux «esprits» autant que les spiritualistes. Mais—lorsque vous aurez fini par prouver au monde entier, la science sceptique y incluse, que nos phénomènes sont produits par les âmes des décédés — qu’aurez-vous prouvé? La survivance de l’homme tout au plus; son immortalité vous ne la prouverez jamais: pas plus comme loi générale, «que comme une récompense conditionnelle». Trente ans d’expérience avec les «esprits» ne nous ont pas impressionnés en faveur de leur véracité comme «loi générale», non plus donc, vous n’avez à nous opposer que votre foi aveugle, vos émotions et l’instinct d’une minorité de l’humanité. Qui, une minorité, car, lorsque vous auriez mis de côté les 450 millions de Bouddhistes, qui ne croient pas à l’immortalité et redoutent comme une calamité terrible, même la survivance de l’âme, et les 200 millions d’Hindous, de toutes les sectes, qui croient à l’absorption, dans l’essence primordiale, qu’en restera-t-il de cette doctrine universelle?

«Notre doctrine», dites-vous, «est inventée pour les âmes basses et viles». Nous sommes à même de vous prouver, les statistiques à la main, que ces âmes «basses et viles» prédominent dans les pays civilisés et chrétiens où l’immortalité est promise à tout le monde. Nous vous renvoyons à l’Amérique, puritaine et pieuse, qui promet à chaque criminel qu’elle pend, un paradis éternel, s’il croit; et cela, immédiatement, car, selon les protestants, du pied du gibet au pied de l’Éternel, il y a moins qu’un pas. Ouvrez un journal de New York; vous y trouverez la première page tout couverte des nouvelles de crimes les plus atroces, les plus inouïs, commis par douzaine, tous les jours, et depuis un bout de l’année à l’autre. Nous défions de trouver rien de semblable dans les pays païens, où l’on ne s’occupe même pas de l’immortalité, et où l’on ne demande qu’à être absorbé pour toujours. L’immortalité comme «loi générale» est donc plutôt un stimulant qu’un préventif contre le crime pour toute âme «basse et vile»?

Nous finissons, croyant avoir répondu à toutes les accusations de l’auteur de l’article sur «les Élémentaires».

Si nos doctrines intéressent le lecteur, dans un prochain numéro nous tâcherons d’être plus explicite.

H. P. BLAVATSKY.